
Le procès du blogueur Jean-Claude Rochefort, qui se déroulait la semaine dernière à Montréal, est intéressant à plus d’un titre. Tout d’abord, comme c’est souvent le cas lorsqu’il est question de propagande haineuse, cette affaire posera des défis particuliers en termes de preuve. Les éléments constitutifs de l’infraction de fomentation volontaire de la haine, qui est l’accusation qui a été portée contre M. Rochefort, sont très précis et le ministère public sera confronté à un accusé résolu à soulever un doute, fût-il minime, quant à la correspondance entre les faits qui lui sont reprochés et la substance de l’infraction. Dans ce qui suit, j’aimerais m’attarder à l’aspect de l’infraction de fomentation volontaire de la haine qui risque d’être le plus sérieusement débattu[1], soit la question de savoir si le discours de M. Rochefort ciblait un groupe identifiable protégé par la loi ou s’il se limitait à une sous-section du public qui n’est pas couverte par la définition fournie par le Code criminel. Dans un second temps, j’aimerais dire quelques mots à propos de la frontière floue qui, dans certains cas, sépare le discours haineux de l’infraction de menace prévue à l’art. 264.1 du Code criminel. En l’espèce, le ministère public a sans doute voulu se simplifier la tâche en déposant seulement des accusations de fomentation volontaire de la haine, mais il y a lieu de se demander s’il n’aurait pas été judicieux de déposer aussi des accusations de menace, surtout s’il existe un risque que l’accusé soit acquitté de la première infraction.
Disons d’abord quelques mots à propos de l’accusé : Jean-Claude Rochefort est un activiste antiféministe de longue date, qui a multiplié les blogues au cours des dernières années. Dans ses nombreux écrits, il n’a eu de cesse d’exprimer son hostilité viscérale envers tout ce qui touche de près ou de loin aux revendications féministes. M. Rochefort, qui se dit titulaire d’un doctorat en philosophie, ne se contente pas toutefois de formuler ses arguments de manière posée afin de convaincre ses lecteurs de la validité de sa vision masculiniste du monde, aussi offensante et répugnante soit-elle. Il va beaucoup plus loin : il produit des photomontages provocateurs qui comportent non seulement des propos menaçants, mais aussi des représentations visuelles d’armes à feu. Pire encore, il flirte avec l’apologie du terrorisme[2], en érigeant Marc Lépine – l’auteur de la tuerie de Polytechnique qui a coûté la vie à quatorze femmes en plus de blesser treize autres personnes – en véritable héros, si ce n’est carrément en saint.
Il est particulièrement intéressant de noter que ce n’est pas la première fois que M. Rochefort fait face à la justice en raison de ses propos incendiaires. En 2009, quelques jours avant la commémoration du 20e anniversaire de la tuerie de Polytechnique, M. Rochefort avait été arrêté et accusé d’incitation publique à la haine en vertu de l’art. 319(1) du Code criminel. À l’époque, les accusations s’étaient toutefois butées à la définition très restrictive de la notion de « groupe identifiable » qui figurait dans le Code criminel et qui n’incluait pas le motif de distinction basée sur le sexe. Seules les sections du public identifiables « par la couleur, la race, la religion, l’origine ethnique ou l’orientation sexuelle » étaient alors énumérées au paragraphe 318(4) du Code criminel, ce qui avait amené la juge Morin de la Cour du Québec à conclure que les femmes ne constituaient pas un groupe protégé par l’article 319 et donc que les accusations devaient être écartées[3].
13 ans plus tard, cette fois en raison de propos tenus en lien avec la commémoration du 30e anniversaire de la tuerie de Polytechnique qui avait lieu en 2019, M. Rochefort se trouve de nouveau accusé de propagande haineuse, cette fois en vertu de l’article 319(2) du Code criminel. Le droit, entretemps, a évolué – M. Rochefort n’étant d’ailleurs lui-même pas étranger à cette évolution[4] – et la notion de groupe identifiable s’est considérablement élargie. Désormais, le paragraphe 318(4) inclut non seulement la couleur, la race, la religion, l’origine ethnique et l’orientation sexuelle, mais aussi l’origine nationale, l’âge, l’identité ou l’expression de genre, la déficience mentale ou physique et le sexe. C’est donc dire que le vide juridique qui avait permis à M. Rochefort de se faufiler entre les mailles du Code criminel en 2010 a été colmaté par le législateur et que les femmes constituent maintenant un groupe protégé.
Est-ce à dire que M. Rochefort fera assurément l’objet d’une condamnation ? Pas nécessairement. Si le caractère haineux des propos rapportés semble criant, et ne devrait donc pas causer de difficulté significative à la poursuite au regard de la preuve, il est possible qu’un défi particulier se pose au procureur lorsque viendra le temps d’établir que l’accusé a bel et bien ciblé, hors de tout doute raisonnable, un groupe identifiable. Un article récent de La Presse nous donne à cet égard accès à la stratégie qui sera mobilisée par la défense pour semer un doute dans l’esprit du juge des faits. Citons in extenso le passage pertinent :
« Dans une requête en récusation déposée lundi, la défense donne un aperçu de la possible défense de Jean-Claude Rochefort : son blogue viserait les ’’féministes’’ et non les femmes en général, comme le stipule le chef d’accusation. ’’Les propos contenus dans les blogues nomment, en termes littéraux, les féministes plutôt que les femmes. L’auteur précise même que pour lui, il existe une grande différence entre femmes et féministes. […] Est-ce que l’intention réelle est de viser les femmes en général ? Est-ce que viser les féministes est la même chose que viser les femmes ?’’, se demande Me Rodolphe Bourgeois. Il reproche au juge d’avoir affirmé que les blogues discutaient des ’’femmes en général’’. »
N’ayant pas eu accès à toute la preuve, il m’est impossible de me prononcer sur la véracité des propos de Me Bourgeois. À supposer toutefois qu’il dise vrai et que tout le contenu du blogue de M. Rochefort cible exclusivement des personnes associées directement à la cause féministe et que la distinction entre « femmes » et « féministes » se trouve sans cesse réitérée avec clarté dans le discours de l’accusé, il s’agit là certainement d’un élément qui pourrait causer du fil à retordre à la poursuite. Comment cette dernière parviendra-t-elle à prouver que la haine proférée par M. Rochefort vise les femmes si celui-ci répète avec constance qu’il ne vise que les féministes ? Lorsqu’on est face à un individu qui a érigé Marc Lépine en modèle, cette distinction peut paraître oiseuse et même outrancièrement byzantine, mais elle n’en porte pas moins à conséquence sur le plan juridique, au point de constituer un obstacle potentiel sur la route qui sépare le procureur de l’obtention d’un verdict de culpabilité. À l’appui de cette défense, l’accusé a témoigné avoir eu peur toute sa vie « de la puissance du féminisme. J’avais peur de perdre ma job, alors je me suis fermé la gueule […] Vers la fin de ma vie utile, à l’approche de ma retraite, [j’ai décidé de m’exprimer]. » À un journaliste qui le questionnait sur sa haine présumée des femmes, M. Rochefort a répondu de but en blanc : « Je n’ai rien contre les femmes, elles sont fantastiques ! J’ai critiqué le féminisme, c’est tout ce que j’ai fait. » Suivant cette version de son itinéraire intellectuel, tout le venin accumulé de M. Rochefort se serait concentré non sur le groupe des femmes en général, mais sur une idéologie politique particulière, tantôt incarnée par des femmes, tantôt incarnée par des hommes. De manière à renforcer cette lecture favorable à l’accusé, on peut penser que la défense ne manquera pas d’insister sur l’obsession de M. Rochefort pour le professeur d’études féministes de l’UQAM Francis Dupuis-Déri, qui était apparemment au centre de plusieurs de ses publications, au point que ce soit lui qui, inquiété par les propos de l’accusé, aurait alerté les autorités.
Il s’agit là sans doute de l’interprétation la plus charitable que l’on puisse faire des faits et gestes reprochés à l’accusé. Pour peu que la défense parvienne à imposer un tel récit, cela pourrait s’avérer suffisant pour susciter un doute raisonnable et entraîner un verdict d’acquittement. Il y a toutefois plusieurs raisons de croire que le ministère public sera à même de s’acquitter de son fardeau de preuve. Tout d’abord, la distinction entre « femme » et « féministe » pourrait très bien se révéler stérile une fois l’ensemble de la preuve examinée de manière contextuelle. Dans l’affaire Dion, où l’accusé a été trouvé coupable d’incitation publique à la haine envers les musulmans, la défense avait fait valoir sans succès que M. Dion ciblait les « islamistes » et non l’ensemble des personnes de confession musulmane. Même s’il y avait bien une phrase de son discours qui recelait une telle distinction (« c’est une gang de dérangés ça les musulmans. Je dis pas tous, je parle des islamistes, des dérangés[5] »), le tribunal n’en a pas moins conclu que l’ensemble de la preuve invalidait cette prétention en lui donnant une portée tout au plus rhétorique. Après tout, il est toujours aisé pour un individu qui se livre à de la propagande haineuse de disséminer dans son discours quelques précautions oratoires visant à donner l’impression qu’il ne s’attaque pas à l’intégralité ou à la majorité des membres d’un groupe, mais bien à une sous-section de celui-ci. Or la moindre précaution oratoire ne saurait suffire à immuniser l’accusé contre une condamnation dès lors que la preuve, considérée dans sa globalité, rend la vacuité de cette précaution manifeste. Dans l’affaire Dion, par exemple, il ressortait clairement du reste du discours de l’accusé que la frontière entre « islamistes » et « musulmans » était en fait extrêmement poreuse aux yeux de M. Dion, au point que la majorité des musulmans se révélaient vite interchangeables avec les islamistes, et ce, sans qu’il soit possible pour l’auditeur de maintenir une frontière étanche entre ces deux groupes[6]. Il importe de noter au passage que le tribunal a aussi tenu compte du fait que le discours de l’accusé avait été prononcé le jour même du triste anniversaire de l’attaque à la grande mosquée de Québec, attaque au cours de laquelle ce sont bien des musulmans qui ont été visés en tant que musulmans[7].
Dans le cas de l’affaire Rochefort, il se pourrait très bien que le procureur parvienne à prouver que ce sont en fait toutes les femmes ou du moins une grande proportion d’entre elles que M. Rochefort visait à travers ses propos. Le Devoir rapporte par exemple que sur l’un de ses trois blogues, la page de présentation du site indiquait que si « tout homme est un frère en puissance, toute femme est une ennemie potentielle. » La distinction entre femme et féministe semble ainsi des plus perméables, dans la mesure où toute femme se présente a priori comme suspecte, couvrant pour ainsi dire en elle les « germes » d’une féministe prête à éclore à tout moment. Toute la question consistera alors à déterminer si une personne raisonnable, exposée à l’ensemble des écrits de M. Rochefort, aurait été en mesure de maintenir une distinction assez tranchée entre les féministes et le groupe identifiable des femmes, et ce, sans que la proportion des femmes considérées comme féministes ne dépasse un seuil susceptible de rendre la distinction vide de sens au regard de l’objectif général de l’article 319 qui est de protéger certains groupes contre la déshumanisation et la diabolisation sur la base de leur appartenance groupale. Il serait après tout absurde que le droit avalise une distinction qui permettrait à un accusé de déverser sa haine sur la majorité des membres d’un groupe simplement parce qu’il croit les viser en tant que vecteurs d’une idéologie politique et non en tant qu’ils représentent un sexe. Ce qu’il faut considérer, c’est l’effet objectif du discours sur les groupes identifiables, c’est-à-dire sans égard pour les croyances subjectives de l’accusé quant au motif de distinction qu’il croit, même sincèrement, cibler. Cela revient à dire que si le juge des faits estime que c’est envers les femmes que les propos de M. Rochefort avaient pour effet d’attiser la haine, c’est un verdict de culpabilité qui devrait s’imposer[8].
Ajoutons que le contexte de commémoration de la tuerie de Polytechnique dans lequel M. Rochefort a rédigé ses textes et concocté ses photomontages, en plus de sa célébration constante et macabre de la figure de Marc Lépine, sont autant d’éléments qui risquent de rendre douteuse la prétention de l’accusé selon laquelle il ne visait que les militants et militantes féministes. Après tout, bien que la commémoration de l’attaque du 6 décembre 1989 fasse certainement l’objet d’une politisation (ce qui est tout naturel compte tenu de la nature des évènements et des intentions autoproclamées du tueur), elle ne saurait être présentée comme le simple prétexte d’une campagne de propagande idéologique. À vrai dire, par-delà toute considération politique, cette commémoration constitue d’abord le rappel sinistre que quatorze femmes ont été tuées pour la seule raison qu’elles étaient des femmes. Lorsqu’il a perpétré son terrible massacre, rappelons que Marc Lépine avait demandé aux hommes et aux femmes de former deux groupes distincts. Il avait ensuite ordonné aux hommes de quitter la salle pour finalement abattre froidement les neuf femmes restées sur place. Au moment de faire feu, le tueur ne se souciait guère de connaître le degré personnel d’adhésion de chacune de ses victimes au féminisme qu’il prétendait combattre : de son propre aveu, le simple fait qu’elles étaient de sexe féminin et désireuses de devenir ingénieures suffisait à les rendre indignes d’exister. Il va sans dire que si c’est une conception aussi extensive de la notion de féministe qu’épouse M. Rochefort dans ses écrits (et il semble raisonnable de croire que c’est le cas considérant sa glorification du tueur), le tribunal n’hésitera pas à couper court à ses tentatives de diversion sémantique. Pour toutes ces raisons, en somme, il se pourrait fort qu’à la lumière de toute la preuve, la stratégie choisie par l’accusé pour se soustraire au paragraphe 319(1) du Code criminel se solde par un échec.
Supposons néanmoins, pour les fins de la discussion, que M. Rochefort conserve une chance de succès, même minime. Il y a lieu de se demander pourquoi le ministère public n’a pas cru bon de déposer en plus des accusations d’avoir proféré des menaces[9], d’autant que la question de savoir si l’accusé ciblait ou non un groupe identifiable devient superflue dans le contexte de cette infraction prévue à l’article 264.1 du Code. Les propos et les photomontages reprochés à M. Rochefort revêtent indéniablement un aspect menaçant. La Presse rapporte que deux jours avant les commémorations, un personnage qui arbore le visage de Marc Lépine apparaît sur un photomontage muni d’un pistolet aux abords d’un mémorial dédié aux 14 femmes assassinées. « Commencez les préparatifs. Posez des lumières, des ceintures de munitions et une photo de Saint-Marc », écrit alors Jean-Claude Rochefort. Un jour seulement avant le 30e anniversaire de la tuerie, le blogueur exhortait carrément ses lecteurs à « polir leurs carabines » en prévision de la « Saint-Marc Lépine Day. » Un autre photomontage met en scène un policier qui s’adresse, d’une manière qui pourrait difficilement être plus explicite, à un personnage armé de Marc Lépine : « Fais-nous une faveur Marc, tue toutes ces salopes ! », peut-on lire en anglais. En plus de plusieurs autres photomontages qui peuvent raisonnablement être interprétés comme des menaces de mort ou de lésions corporelles, La Presse rapporte que le blogueur encourageait aussi les admirateurs de Marc Lépine à brûler des institutions universitaires, dépeintes comme autant de « lieux maléfiques » à éradiquer, dans une menace qui semblait tout spécialement dirigée contre l’UQAM, présentée comme le chef-lieu du féminisme montréalais[10].
De tels propos auraient pu servir de fondement à une accusation d’avoir proféré des menaces et, comme je l’ai déjà mentionné, la question de savoir si M. Rochefort visait les femmes dans leur ensemble ou seulement les féministes aurait été sans incidence sur les chances de la poursuite de prouver les éléments constitutifs de l’infraction. L’article 264.1 du Code criminel précise en effet qu’il suffit de viser une « personne » ou « quelqu’un » et la jurisprudence a statué que cette infraction pouvait s’appliquer même lorsque c’est un large groupe de personnes à l’identité relativement circonscrite qui se trouve visé[11]. Comme l’a écrit le juge Delisle dans l’arrêt Rémy de la Cour d’appel du Québec :
« Bien que je concède à l’appelant que l’acte d’accusation ne spécifie pas l’identité de la victime nommément, je ne suis pas prêt à affirmer qu’un tel élément est constitutif de l’infraction prévue à l’article 264.1(1)a) C.cr. La loi n’exige pas que la poursuite amène la preuve de l’identité de la victime. La menace de causer la mort à un membre d’un groupe déterminé de citoyens constitue une violation de cet article[12]. »
Ainsi, pour peu qu’il soit possible d’établir raisonnablement que M. Rochefort visait toute femme[13], toute personne présente à la commémoration de la tuerie de Polytechnique, tout individu susceptible d’exprimer publiquement des revendications féministes ou encore tout le personnel d’un département universitaire ou d’un institut de recherche précis (l’Institut de recherches et d’études féministes de l’UQAM par exemple), nous sommes certainement en présence de propos intimidants capables de susciter la crainte. Rappelons que l’infraction d’avoir proféré des menaces n’exige pas de prouver que les menaces se sont effectivement rendues à leurs destinataires (elles peuvent seulement avoir été reçues par un tiers non visé par la menace, ce qui est le cas avec les 60 000 lecteurs que M. Rochefort prétendait rejoindre). Il n’est pas non plus nécessaire de prouver que l’accusé avait l’intention de mettre ses menaces à exécution ; seul importe que l’accusé ait eu l’intention que son discours suscite la crainte ou soit pris au sérieux[14].
Je terminerai ce texte par une brève remarque au sujet de la proximité entre les infractions de menace et de fomentation volontaire de la haine. Il ne faut guère s’étonner que les deux infractions se côtoient en l’espèce. Sentiment dévorant par excellence, la haine consume celui qu’elle habite jusqu’à lui faire perdre toute retenue. Il n’y a qu’un pas qui sépare le discours déshumanisant et la verbalisation concrète du désir de voir l’autre souffrir ou disparaître, et ce pas est facilement franchi par celui que la haine possède jusqu’à l’aveuglement. Dans ce contexte, les mots ne semblent jamais assez violents pour exprimer toute l’intensité des émotions ressenties et ce n’est souvent qu’une question de temps avant que les menaces affleurent à la surface du discours, à la manière d’un fruit qui tomberait naturellement d’un arbre dont toute la sève serait devenue toxique.
[1] Pour les fins de ce texte, je présumerai donc que les autres éléments constitutifs de l’infraction ne poseront pas de problème particulier à la poursuite.
[2] Cela dépasse le cadre du présent article, d’autant que je n’ai pas eu le loisir d’analyser toute la preuve, mais il y a lieu de se demander si l’art. 83.221 du Code criminel, qui concerne le fait de conseiller la commission d’une infraction terroriste, n’aurait pas pu être invoqué en l’espèce. Cet article stipule, au paragraphe (1), qu’« est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans, quiconque conseille à une autre personne de commettre une infraction de terrorisme sans préciser laquelle. » Le paragraphe (2) du même article précise quant à lui qu’« il n’est pas nécessaire que l’infraction de terrorisme soit commise par la personne qui a été conseillée. » Cet article a fait l’objet d’une modification en 2019 et il n’est pas sûr qu’il puisse inclure l’apologie du terrorisme au sens large, toute la difficulté étant de savoir quel degré précis de mens rea est requis pour cette infraction et, plus précisément, si le fait de conseiller peut inclure une mens rea d’insouciance. On peut comprendre le ministère public d’avoir voulu éviter les difficultés inhérentes à ce genre d’infraction en matière de preuve. Voir à ce sujet K. Roach (2019), « Terrorist Speech under Bills C-51 and C-59 and the Othman Hamdan Case: The Continued Incoherence of Canada’s Approach », Alberta Law Review Society, vol. 57, n° 1, p. 201-232. Pour un exemple d’échec à prouver la mens rea de l’ancienne version de l’art. 83.221, voir R. v. Hamdan, 2017 BCSC 61.
[3] Voir à ce sujet A. M. Manirabona (2011), « Vers la répression de la propagande haineuse basée sur le sexe ? Quelques arguments pour une redéfinition de la notion de ’’groupe identifiable’’ prévue dans le Code criminel », Les Cahiers de droit, vol. 52, n° 2, p. 248.
[4] Rappelons que les réactions à la décision de la juge Morin avaient été vives à l’époque, jusqu’à soulever l’ire de plusieurs parlementaires. La députée Nicole Demers et la sénatrice Nancy Ruth avaient notamment regretté l’absence du motif de distinction basée sur le sexe du Code criminel, jugeant cette lacune révoltante et même dangereuse. Voir à ce sujet A. M. Manirabona (2011), op. cit., p. 248-249. Il n’est donc pas exagéré d’affirmer que Jean-Claude Rochefort figure parmi les causes qui ont mené à l’inclusion du motif de distinction fondée sur le sexe dans les dispositions anti-haine du Code criminel en 2015.
[5] Dion c. R., 2020 QCCS 3049, par. 39.
[6] Loc. cit.
[7] Ibid., par. 40.
[8] Rappelons que le test établi par la Cour suprême consiste à se demander si « une personne raisonnable informée du contexte et des circonstances pertinentes estimerait, d’un point de vue objectif, que les propos exposent ou sont susceptibles d’exposer à la haine les membres du groupe ciblé. » Voir Owens c. Human Rights Commission (Sask.), 2006 SKCA 41, par. 60, cité avec approbation dans Saskatchewan (Humans Right Commission) c. Whatcott, [2013] 1 R.C.S. 467, par. 35.
[9] Signalons qu’en 2009, des accusations de menace de mort envers les femmes avaient aussi été portées. Pour des raisons qu’il m’est impossible d’élucider (il s’agit vraisemblablement du fruit d’une négociation de plaidoyer), ces accusations avaient toutefois été abandonnées et M. Rochefort avait plaidé coupable à une accusation de possession illégale d’une arme à feu. Le blogueur avait alors écopé de deux ans de probation assortie d’une peine de 50 heures de travaux communautaires.
[10] Rappelons que l’art. 264.1 inclut, à l’alinéa b) de son paragraphe (1), les menaces «de brûler, détruire ou endommager des biens meubles ou immeubles. »
[11] Dans la mesure où M. Rochefort a aussi ciblé avec insistance des personnes précises, notamment les professeurs Francis Dupuis-Déry et Mélissa Blais, par des propos qui pouvaient raisonnablement laisser craindre pour leur sécurité, on peut penser que des accusations de harcèlement criminel auraient aussi pu être envisagées en vertu de l’art. 264 du Code criminel.
[12] R. c. Rémy, 1993 QCCA 3851.
[13] Pour un exemple récent d’individu, lui aussi admirateur de Marc Lépine, qui a plaidé coupable à une accusation de menaces de mort envers les femmes, voir cet article du Journal de Québec.
[14] Sur l’infraction de menace, voir notamment R. c. Clemente, [1994] 2 R.C.S. 758 et R. c. McRae, [2013] 3 R.C.S. 931.